Le mirage du télétravail

Alexis Tillette

« On envisage de déployer le télétravail ! »

Quel dirigeant ne se pose pas la question d’intégrer le télétravail dans l’organisation de son entreprise ?

Le télétravail peut constituer une opportunité de faire évoluer l’organisation du travail. Mais attention au mirage en termes de bénéfices et aux impacts sur l’engagement et la culture d’entreprise.

Cette réflexion part d’un double constat :

1. La sous-estimation des impacts

La question du télétravail tend à se réduire aux modalités de sa mise en œuvre : qui serait concerné ? Combien de jours par semaine ?

Selon une enquête de l’ANDRH, 28% des salariés travaillaient à distance durant la crise des « Gilets jaunes ». Aujourd’hui, le taux est de 40%. Une croissance certaine qui doit nous interroger sur les conséquences structurelles, sur l’organisation même de l’entreprise (communication, management, exploitation des locaux, relations sociales, gestion des compétences…) et sur la culture d’entreprise.

Pour avoir pratiquer durant plusieurs années le télétravail, ponctuellement puis régulièrement, en tant que salarié puis manager, cet avantage devient vite un acquis social. Le salarié se retrouve dans une situation où il bénéficie de plus de liberté pour organiser son temps dans un cadre plus confortable : moins de transport, de fatigue, la possibilité de travailler de manière moins fragmentée, de reprendre – en partie – la main sur son équilibre de vie. Ce dernier avantage représente un facteur déterminant de l’engagement des salariés et en particuliers, des plus jeunes.

Dans le cadre d’un fonctionnement sans télétravail, le changement de la fréquence des déplacements, un planning de travail qui change, impactera principalement l’environnement professionnel du salarié. Dans le cadre du télétravail, la frontière entre l’univers professionnel et personnel devient poreuse et peut tendre à ne faire plus qu’un. Toute évolution impacte directement les sphères professionnelles et privées du salarié, avec des conséquences sur le degré d’acceptation et d’adhésion au changement du salarié.

Une porosité qui se retrouve dans l’entreprise. Car même s’il ne concerne le plus souvent qu’une partie mineure des salariés, le télétravail à des conséquences sur l’organisation de l’entreprise dans son ensemble. Le mettre en place ne se réduit pas à identifier les personnes, à s’assurer qu’elles disposent d’un ordinateur portable. Le télétravail requière d’adapter les modes de communication, de management, les objectifs, les facteurs qui vont maintenir l’engagement du salarié à distance, la cohésion des équipes. Une adaptation qui, par ricochet, implique les autres salariés de l’entreprise.

Le mirage du télétravail Article reventis

Comment, en tant que dirigeant, intégrez-vous ces changements à venir et impacts dans votre prise de décision ?

2. La clé du « gagnant/gagnant »

Lors du confinement, nombre de managers ont pris conscience de la réalité et des spécificités de l’encadrement à distance (animer une réunion, redéfinir des objectifs, adapter sa communication au contexte, se passer du non verbal, redonner du sens…). Plus encore, ils ont pris conscience que cette organisation du travail consistait avant tout à accepter d’accroître sa confiance en l’autre. A moins « avoir la main » sur ce qui se passe quotidiennement. Cela a été imposé par le contexte exceptionnel du confinement. Mais qu’en serait-il en situation « normale » ? Les managers et salariés seraient-ils prêts à réduire cette part de contrôle ? Les salariés seraient-ils prêts à leur faciliter la tâche ?

La distance rebat les cartes du management et de la relation humaine. Thomas Allen, professeur au MIT, publiait en 1977 les résultats de ses recherches sur cet aspect du travail à distance. Selon lui, il réduisait par 4 la communication entre collègues et générait un risque avéré de distanciation relationnelle.

Une souplesse, une liberté pour le salarié mais un changement fondamental pour le manager devant apprendre le « management hybride », en pilotant aussi efficacement ses équipes à distance ou en face à face.

Une agilité du manager mais aussi de l’entreprise qui doit intégrer la question de l’équité : quelles conséquences pour celles et ceux qui y ont eu recours durant ce confinement et qui ne pourront plus y avoir accès dès le retour au bureau ? Une avancée pour toutes les entreprises, mais pas pour chaque salarié. Comment appréhender les possibles frustrations et réclamations ?

Un manager et un salarié qui vont devoir prévenir ce risque de distanciation sociale progressive, qui sera susceptible de gagner du terrain au fil du temps. Le confinement l’illustre : d’une sur-communication durant les premiers jours, nous sommes passés progressivement à un effritement des appels, messages, courriels. Au besoin d’être ensemble, de se rassurer, succède la solitude. Certes, l’incertitude ambiante couplée au stress renforcent notre instinct de repli dans la dernière ligne droite de ce confinement, mais n’est-ce pas l’illustration de ce qu’observait Thomas Allen il y a déjà 45 ans ?

Et puis cette question de la contrepartie permettant d’assurer un contrat gagnant-gagnant se pose. Les salariés évoquent souvent être 10%, 20%, 30%…plus efficaces ou productifs. Sont-ils d’accord pour que leurs objectifs ou charge de travail soient alors revus à la hausse ? Que sont ils prêts à faire pour contribuer à réduire les impacts négatifs (distance sociale, risque de désengagement…) ?

Il y a derrière ce sujet du télétravail un réel enjeu de contrat tri partîtes entre le salarié, son manager et l’entreprise. Un contrat validant les prises de conscience, les remises en question de chacun, le cadre de fonctionnement afin que cette évolution du mode d’organisation du travail soit profitable pour toutes les parties prenantes.

Ainsi, de multiples questions qui méritent de s’intéresser à la partie immergée de l’iceberg « Télétravail ».

Mon intention et ma prétention ne sont pas d’explorer cette immensité (elle représente en moyenne 85% d’un iceberg !) mais de focaliser nos regards sur 3 points susceptibles de nourrir votre décision :

1) Être adapté au télétravail

Mettre en place le télétravail c’est avant tout se demander s’il est tout simplement approprié à l’entreprise.

Comme l’évoque Mahlon Apgar, ancien membre du Boston Consulting Group et spécialiste des questions de modalités de travail (« Alternative Workplace »), le télétravail montre plus d’efficacité dès lors que l’entreprise :

  • s’engage à adopter de nouvelles méthodes de travail
  • est d’avantage informationnelle qu’industrielle
  • est dynamique avec une hiérarchie peu formelle et en avance d’un point de vue technologique
  • est disposée à investir dans des outils de formations

Plus encore, il insiste sur le fait que l’entreprise doit s’appuyer sur un management qui sache remettre en cause ses certitudes, qui accepte de faire évoluer sa posture et son mode de pilotage des objectifs.

2) Engager plutôt que motiver

Encore plus à distance qu’en présentiel, la question de l’engagement est clé. Trop souvent, le télétravail est octroyé pour faciliter l’organisation du salarié.

Pour maintenir ou renforcer sa motivation. Pourtant, les Théories de Maslow, ou plus récemment celle de « l’auto-détermination » développée par Edward L.Deci illustrent bien la limite de la motivation.

La motivation d’un salarié est seulement animée par sa volonté de combler un besoin ou un objectif individuel (être reconnu, recevoir un salaire, avoir un statut dans la société…). Ce n’est en rien un levier garantissant son engagement envers l’entreprise.

Pour plus d’informations sur ce sujet, nous vous conseillons cet article : Comment faire la différence entre motivation et engagement ? 

Il est donc essentiel de se concentrer sur la mise en place d’un télétravail qui, à minima, maintienne l’engagement du salarié. Un engagement qui résulte de la réponse à 4 de ses besoins fondamentaux : le sens, la reconnaissance, le fait progresser et enfin l’appartenance.

L’appartenance, est non seulement synonyme de lien social mais également d’intégration à un projet d’entreprise. Pour être engagé, il doit avoir le sentiment de se sentir utile, de contribuer concrètement et de manière tangible à ce projet. C’est là, la différence essentielle entre la motivation et l’engagement. Sans engagement, la motivation devient un investissement à perte, un puits sans fond.

Cette dimension est d’autant plus déterminante à distance avec le risque de se sentir ou d’être oublié : « Loin des yeux loin du cœur ! ».

L’entreprise et le manager doivent ainsi valider avec le salarié les facteurs qui vont agir sur son engagement, plus que sur sa motivation. (Voir article)

3) Valider le sens donné au Management

Derrière la question du télétravail c’est surtout la question du sens que l’on souhaite donner à la pratique du management. Ne passons pas à côté de cette composante essentielle.

Le télétravail n’est qu’un moyen, parmi d’autres, à disposition de l’entreprise et du manager pour piloter ses collaborateurs. Cela ne doit pas être seulement un levier de motivation du salarié, ni même avoir pour seule but l’optimisation des coûts.

Met-on en place le télétravail pour accélérer l’autonomie, la responsabilisation des salariés ou juste pour des aspects pratiques ?

Nous avons évoqué plus tôt la notion de confiance qui est au cœur du lien entre le manager et le salarié. Avec le télétravail, est-on d’accord pour donner une nouvelle dimension à la confiance accordée aux salariés ?

La confiance renvoie à l’idée que l’on peut se fier à quelqu’un ou à quelque chose. Dans l’étymologie latine, le verbe confier (du latin confidere : cum, « avec » et fidere « fier ») signifie qu’on remet quelque chose de précieux à quelqu’un, en se fiant à lui et en s’abandonnant ainsi à sa bienveillance et à sa bonne foi.

Les Managers sont-ils prêts à lâcher prise ? Sont-ils prêts à faire confiance sans tomber dans « la confiance aveugle » ni à l’inverse, dans l’excès de contrôle ?

Le fait d’être à distance contribue à accélérer la capacité d’autonomie du salarié. Le phénomène de distanciation sociale évoquée précédemment réduit les interactions avec ses collègues. Le salarié se retrouve plus souvent face à lui-même, avec moins de tentation ou de moyens de solliciter les autres. Ainsi, c’est aussi une opportunité de développer son autonomie et de lui permettre de grandir. Son manager doit ainsi y contribuer et accepter d’adapter son contrôle en conséquence.

En conclusion, n’est-ce pas la question de la culture managériale qui est en jeu derrière cette décision d’intégrer le télétravail ?   

En tant dirigeant, êtes-vous prêt à (re)valider le sens que vous souhaitez donner au management dans votre entreprise ? Etes-vous prêt à remettre en cause votre conception du management et par conséquence, votre propre posture de leader ?

Derrière la question de la mise en place du télétravail, c’est aussi la question de la vision qu’à le dirigeant du management.